Depuis toujours je suis convaincue de l’inutilité de l’argent, de sa nocivité. Il est à la racine de toutes les déviations, il pourrit tout ce qu’il touche. Et cela me semble si évident qu’il me paraît superflu d’insister.
Partant de cette conviction, le tout est de savoir si l’on peut concevoir et mettre sur pied une organisation sociale sans argent, l’argent étant entendu comme «monnaie d’échange», le supprimer et ne pas chercher à le remplacer par quoi que ce soit.
Cela est dans certaines sociétés dites primitives, mais peut-on réaliser une société évoluée où, enfin, tout serait gratuit (et donc, au premier chef, le travail), où tout serait donné ? Où les besoins de chacun seraient satisfaits par ceux-là même qui les éprouvent en leur permettant de «prendre» librement ce qui leur est nécessaire.
Cela correspondrait enfin à la formule vieille et usée mais jamais appliquée «un pour tous, tous pour un».
Est-ce réalisable ? Oui, J’en suis convaincue, mais encore faut-il me le prouver. Et si je me le prouve, je le prouve en soi.
L’enfant naît.
Quels que soient ses parents, ses besoins sont les mêmes (ce qui diffère dans notre société, c’est leur satisfaction). D’abord ses besoins essentiels de survie: être nourri, vêtu, logé, protégé; puis ses besoins d’instruction, d’éducation : physique, mentale et caractérielle, pour devenir adulte; enfin une activité adaptée aux dons, facultés, aspirations de chacun, de l’âge adulte à la mort – car chaque être éprouve le besoin de se réaliser et de se sentir utile par l’action (celle-ci allant des travaux matériels les plus simples, aux travaux intellectuels les plus ardus, les plus subtils ou les plus artistiques).
Pour satisfaire ces besoins, l’homme possède une tête, des mains et des membres; et il dispose de la terre et de tous ses produits (y compris marins) et des matières premières qu’elle contient. Ces éléments et eux seuls (pas l’argent), lui permettent d’être le créateur des produits qui lui sont nécessaires, ou utiles, ou simplement agréables, plaisants.
La monnaie d’échange n’est qu’un procédé artificiel inventé de toutes pièces et exploité par les uns contre les autres en créant des hiérarchies et des suprématies injustifiées.
Une société sans argent, cela revient à quoi ?
- à ce que chaque être travaille gratuitement,
- à ce que tout ce qui est créé soit mis gratuitement à la disposition de tous.
Pourquoi cela paraît-il impossible alors que la première objection est que cela paraît trop simple ?
J’y vois deux raisons:
- on se heurte à une conception si ancrée de la société actuelle que toute autre paraît inconcevable;
- et à une conception de l’homme le définissant comme inapte à tout autre mode de vie collective, et inéducable.
Or la base de toutes nos sociétés est l’argent, qui ne permet de vivre que contre autrui et non avec. Pourquoi ne remonte-t-on jamais à cette unique cause, à cet unique principe sur lequel notre société de profit est fondée, et qui veut que l’on ne puisse rien se procurer que contre une valeur d’échange équivalente ?
L’échange, c’est ne donner rien pour rien. C’est la négation du don gratuit.
Le système même, le principe, suppose le mépris de l’homme, l’idée que l’homme ne peut être généreux, qu’il est incapable de s’épanouir, de se réaliser s’il n’est sollicité par un profit personnel et égoïste.
La possession de l’argent est donc devenue une fin en soi, et les Etats, les partis, les syndicats, ne visent, au mieux, qu’à en organiser la répartition (toujours injuste) et l’équilibre (toujours instable).
Mais l’écrasante majorité des humains souffre d’un tel contexte. Combien se sentent rétrécis, angoissés, perdus, incapables de comprendre les rouages, les mobiles, les plans et les lois auxquels obéissent les gouvernements dont ils dépendent ? Ils sont légion.
Or nous savons (par de multiples exemples passés) que tous peuvent s’adapter à tout autre mode de vie. L’importance de l’influence de l’éducation est telle qu’en une seule génération le comportement de tout un peuple se trouve modifié.
Si l’argent – son gain étant un besoin absolu – a été et est encore un stimulant sur le plan individuel, il est devenu un frein puissant et nuisible sur le plan collectif, mondial, et nous emmène tous, et très vite, vers une fin tragique (que ce soit une guerre, que ce soit une révolution des Etats pauvres contre les Etats riches). Car nous avons actuellement,
- un groupe d’Etats à grand rendement industriel à système capitaliste individuel;
- un groupe de nations à concentration capitaliste d’Etat, et
- les Etats non-industrialisés et défavorisés sur le plan des ressources (mais – et en partie parce que – exploités par les premiers), classés sous la dénomination de Tiers Monde.
Alors que les premiers gâchent ou jettent des produits pour maintenir des prix hauts, que les seconds, depuis bientôt 70 ans, ne créent et ne répartissent que parcimonieusement les biens essentiels pour se maintenir sur le plan défensif, les troisièmes, témoins de tous les gâchis, meurent de faim.
Il serait intéressant de connaître, dans notre économie, la proportion de travailleurs qui se trouvent astreints à une activité consacrée aux exigences de la monnaie d’une part, et d’autre part à des activités également stériles, voire nuisibles (fabrication d’armes, par exemple). L’ensemble des citoyens ne semble pas y penser, tant chacun est obnubilé par le besoin impérieux d’un gain.
Mais, par hypothèse, supprimons l’argent. Nous libérons de ce fait une foule incalculable de bras, de cerveaux, d’énergies humaines, qui lui sont actuellement consacrés : tous les travailleurs des banques (y compris les CCP), des bourses, de l’URSSAF, de la Sécurité Sociale et caisses vieillesse, de la CAF, les caissiers et encaisseurs, les employés de toutes les assurances, de toutes garanties, les percepteurs et agents du fisc, les douaniers, de nombreux guichetiers de services divers, une foule de fonctionnaires ministériels et nous pouvons y ajouter tous les travailleurs qui se consacrent à la fabrication des billets de banque (papier et impression) et de la monnaie. Bien d’autres sans doute, répartis dans le réseau complexe des échanges.
Et toutes ces énergies qui peuvent devenir créatrices !
Et créatrices dans tous les domaines de la vie sociale où chacun y gagnerait, car la puissance de l’argent est pernicieuse dans tous les secteurs, que ce soit l’argent et la santé, l’argent et le logement, l’argent et la qualité des produits, l’argent et les transports, l’argent et le commerce, l’argent et l’éducation, l’argent et le choix de la profession, etc… et chacun de ces secteurs d’activité peut être organisé sans ce poids de l’argent qui est devenu un blocage.
Dans cette société sans argent, basée sur la conscience individuelle et la liberté, les services de police se trouvent singulièrement allégés ainsi que les tribunaux.
Et Il n’y a plus de chômage, plus le moindre, car il n’est dû ni à une sous-consommation, ni à l’évolution des techniques et machines-outils, mais bel et bien et uniquement à la nécessité absolue de toucher un salaire…
Chaque point peut, et doit être, examiné et approfondi, mais a priori il n’y a nul obstacle au bon fonctionnement de chaque secteur d’activité dans la société telle que nous la concevons.