Les IWW ("Industrial Workers of the World" – Travailleurs Industriels du Monde) ont été fondés à Chicago en 1905 comme "un seul grand syndicat" divisé en syndicats d’industrie. Les IWW étaient différents à deux égards des syndicats américains de l’époque, la plupart desquels étaient affiliés à l’American Federation of Labor (AFL). Premièrement, ils disaient que les travailleurs devraient s’organiser par industrie, et non pas par métier comme les syndicats de l’AFL. Deuxièmement, les IWW s’engageaient explicitement à mener la lutte syndicale comme une lutte de classe, ce que l’AFL rejetait. Ainsi, le Préambule à la Constitution des IWW adopté en 1905 commençait de la manière suivante:
"La classe ouvrière et la classe patronale n’ont rien de commun. Il ne peut y avoir de paix aussi longtemps que la faim et le besoin seront le partage de millions de travailleurs, pendant que la minorité, qui compose la classe de patrons, possède tous les biens de la vie.
Entre ces deux classes il doit y avoir lutte, jusqu’à ce que tous ceux qui peinent s’unissent, tant sur le terrain politique que sur le terrain industriel, et prennent et conservent ce qu’ils produisent par leur travail, au moyen d’une organisation de la classe ouvrière, sans affiliation à aucun parti politique".
En 1908, le deuxième paragraphe de ce préambule était modifié pour déclarer:
"Entre ces deux classes il doit y avoir lutte, jusqu’à ce que les ouvriers du monde entier s’organisent comme classe, prennent possession de la terre et des instruments de production, et abolissent le système de salariat".
On pourrait pinailler sur la question de savoir si cette organisation devrait être "politique" ou "économique" (et, bien entendu, on l’a fait à l’époque), mais cette déclaration, c’est le programme révolutionnaire.
La question suivante se pose, cependant: les IWW étaient-ils un syndicat ou bien étaient-ils une organisation révolutionnaire? Les IWW ressemblaient beaucoup à la CGT en France de la même époque, la différence principale étant que la CGT était composée essentiellement des syndicats de métier alors que les IWW étaient réellement un syndicat industriel. Comme l’ancienne CGT, les IWW prônaient l’abolition du salariat et voyaient les syndicats (industriels, toutefois) comme "structure de la nouvelle société à l’intérieur même de l’ancienne" (préambule de 1908) – propos douteux, soit dit en passant.
Egalement comme l’ancienne CGT, les IWW étaient hostiles à toute ingérence d’un parti politique, dût-il socialiste, dans la lutte syndicale tout en laissant la liberté à leurs adhérents de soutenir le parti de leur choix . . . ou de ne soutenir aucun parti du tout. Autrement dit, les IWW n’étaient pas des "anti-politique" au sens où l’étaient les anarchistes.
Dans la pratique les IWW étaient un syndicat militant qui faisait du bon travail en organisant les secteurs de la classe ouvrière – les non-qualifiés, les travailleurs migrants – que l’AFL laissait de côté. S’ils n’avaient pas été écrasés par le talon de fer de l’Etat suite à l’entrée des Etats-Unis dans la première guerre mondiale – à cause de leur décision de continuer la lutte syndicale sans compromis malgré la guerre – les IWW auraient en toute probabilité évolués en syndicat industriel pur et simple, c’est-à-dire sans idéologie anticapitaliste, un peu comme le CIO (Congrès des organisations industrielles) qui a paru, pour les mêmes raisons, dans les années 1930 et qui a fini par fusionner avec l’AFL en 1955 pour former l’AFL-CIO, actuellement la grande centrale syndicale des Etats-Unis.
Cela dit, les IWW nous donnent néanmoins une idée de ce que les syndicats pourraient devenir lorsqu’un grand nombre de salariés seront devenus socialistes. D’organisations cherchant à protéger les intérêts des travailleurs au sein du capitalisme, ils se fusionneraient en "un seul grand syndicat", faisant la lutte des classes d’une façon consciente en vue d’abolir le salariat et organisant les travailleurs pendant que la transformation par l’action politique de la société de capitalisme en socialisme s’effectue.