(Paru dans Socialisme Mondial N° 7, 1977).
La nouvelle constitution portugaise votée par l’Assemblée Constituante l’année passée contient des déclarations bien prétentieuses telles que « Le Portugal est une république souveraine … assumant sa transformation en une société sans classes » (Article 1) et « Les premiers devoirs de l’État sont …. d’abolir l’exploitation et l’oppression de l’homme par l’homme » (Article 9). La constitution fait même mention cinq fois des termes « socialisme » ou « socialiste ». L’Article 2, par exemple, déclare :
« La République portugaise est un État démocratique …, dont le but est d’assurer la transition au socialisme par la création des conditions nécessaires à l’exercice démocratique du pouvoir par les classes travailleuses ».
L’Article 80 ajoute :
« L’organisation socio-économique de la République portugaise est basée sur le développement de relations socialistes de production, par l’intermédiaire de l’appropriation collective des principaux moyens de production, des ressources naturelles et agricoles, et aussi de l’exercice du pouvoir démocratique par les classes travailleuses. »
De telles déclarations sont bien entendu une absurdité puisque le Portugal dispose d’un système économique capitaliste et qu’il n’est aucunement sur la voie du socialisme.
Quelques leaders politiques peut-être souhaitent voir l’établissement d’une société sans classes et la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, mais leurs actions ne mèneront certainement pas à ce résultat.
Ce qu’ils pourraient établir au Portugal, et peut-être y sont-ils arrivés, est une démocratie politique, structure démocratique limitée pour l’opération et l’administration du capitalisme. Un tel régime n’abolit pas les classes, ni ne met fin à l’exploitation de l’homme par l’homme ; il n’est pas non plus une transition au socialisme. Un tel régime, en subordonnant le contrôle de l’appareil gouvernemental à un parlement élu au suffrage universel, donnerait à la classe ouvrière la possibilité d’obtenir pacifiquement le contrôle du pouvoir politique, contrôle qui est nécessaire à l’établissement du socialisme. En tant que telle la démocratie politique est utile à la classe ouvrière, mais elle seule n’aide pas à résoudre les problèmes de celle-ci ; elle laisse intacte l’organisation capitaliste de la société ; le monopole de classe des moyens de production, le système salarial, et la production des richesses pour la vente sur le marché en vue de profits.
L’utilisation du terme « socialisme » dans la rédaction de la nouvelle constitution s’explique en partie par l’attraction que ce mot a sur la classe ouvrière, et par sa potentialité à donc rallier celle-ci au nouveau et rénovateur régime capitaliste. Mais son utilisation s’explique aussi par la déviation sémantique du mot « socialisme » qui, malgré les protestations des véritables socialistes comme nous-mêmes, a pris la signification de ce qui est appelé à plus juste titre « le capitalisme d’État » , c’est-à-dire propriété ou contrôle de l’industrie capitaliste par l’État.
La substitution de la propriété d’État et du contrôle bureaucratique à la propriété capitaliste privée n’apporte rien à la classe ouvrière, quoiqu’en dise l’Article 83 de la nouvelle constitution; où on lit:
« Toutes les nationalisations effectuées depuis le 25 avril 1974 sont pour les classes travailleuses des conquêtes irréversibles. »
Cette déclaration est fausse. La classe ouvrière n’a bénéficié en rien de la nationalisation des banques et d’autres industries, à la suite du renversement en avril 1974 de la dictature fasciste. Ceux qui travaillent dans les industries nationalisées sont demeurés des travailleurs salariés forcés de vendre leur force de travail à un employeur. Ils continuent à être exploités puisque le profit des industries nationalisées est toujours soustrait de leur travail non payé. Et ils ont encore besoin de s’organiser pour défendre leurs salaires et conditions de travail, et même si nécessaire de se mettre en grève, tout comme avant la nationalisation. La nationalisation signifie simplement un changement de patrons, les capitalistes privés étant remplacés par des bureaucrates gouvernementaux souvent incompétents et par des gens en quête de postes.
Au fait il y en au Portugal qui se rendent compte que cette histoire de « socialisme » n’est qu’un camouflage. Lors d’un débat télévisé la chaîne de la télévision française Antenne 2, le 11 mai, où se sont confrontés les leaders principaux des partis politiques portugais, le leader des Démocrates centristes, Freitas do Amaral, (ceux-ci représentant l’intérêt des capitalistes privés et furent les seuls en tant que parti à voter contre la nouvelle constitution, précisément à cause de ses références au « socialisme ») rétorque au leader du Parti Communiste portugais, Alvaro Cunhal, ces mots :
« Le parti communiste est un parti capitaliste ; il soutient le capitalisme d’État. »
Rien de plus vrai que cette accusation qui montre bien que quelquefois les hommes politiques représentant les différents intérêts capitalistes rivaux du Portugal sont prêts à admettre que la question en litige ne repose pas sur le choix entre le capitalisme et le socialisme mais sur celui entre le capitalisme privé et le capitalisme d’État. Ces deux systèmes n’offrent, ni l’un ni l’autre, rien à la classe ouvrière. L’intérêt de cette classe réside dans l’utilisation de la démocratie politique, tout juste établie, afin d’acquérir et de répandre la conscience du socialisme pour finalement établir, avec la coopération de ses compagnons travailleurs des autres pays le socialisme mondial.