Contributions à la critique de l’idéologie nationale/1 de Alain Le Guyader. 1978. 10/18.
Un livre portant un pareil titre ne manquera pas d’attirer notre attention, nous les critiques acharnés de toute idéologie nationaliste quelle qu’elle soit. Alain Le Guyader est malheureusement affligé d’une tare fréquente chez les intellectuels français: une incapacité foncière, lorsqu’il écrit, à exprimer ses pensées d’une manière claire et simple (son introduction est pratiquement incompréhensible). Toutefois, deux des articles de ce livre (l’ensemble ayant paru pour la première fois dans La Taupe Bretonne au début des années 70) valent la peine qu’on s’y arrête sérieusement.
Le premier (« Le mouvement national breton ») concerne les idées et la façon de penser de l’Union démocratique bretonne (l’UDB). Le Guyader montre que ses membres sont emparés de termes socialistes en vue de s’assurer une certaine audience. Après analyse, on s’aperçoit qu’ils partagent les mêmes points de vue irrationnels que tous les nationalistes, qui pensent qu’il existe une Nation (dans ce cas précis, une nation bretonne) possédant des intérêts et un territoire communs et à laquelle eux-mêmes avec d’autres appartiennent, présomption devant être considérée comme un article de foi puisqu’on ne trouve pas la moindre preuve scientifique capable d’appuyer une telle affirmation. Elle est plutôt basée sur la présupposition absurde qui veut, qu’avant que certains « nations » n’aient entrepris d’oppresser les autres, le monde était composé de « nations » pures, chacune vivant paisiblement sur son territoire « national ».
Dans le second article (« La ‘révolution nationale‘ des minorités ») Le Guyader traite du concept établissant que les travailleurs de Bretagne (de Corse ou du Midi, etc.) sont doublement exploités, d’abord en tant que salariés, ensuite comme membres d’une minorité nationale opprimée ou colonisée. Il est difficile de savoir ce qu’il faut entendre par là. Pour ce qui est de leur place dans le processus de la production, le travailleur de Rennes ou d’Ajaccio se trouve dans une position ne différant nullement de celle du travailleur de Paris ou de Nancy. Le seul argument avancé en faveur d’une exploitation nationale au second degré présumée, est que le travailleur breton (ou corse, etc.) est membre d’une « nation » qui a été spoliée de son « droit » de constituer un État national sur son propre territoire « national ». Mais c’est tenir pour acquis des faits qui restent à prouver, à savoir, qu’il existe des nations et que certaines d’entre elles sont opprimées! Nous constatons une fois de plus que nous avons affaire à des nationalistes accommodant leurs arguments irrationnels à la sauce socialiste. En fin de compte, comme le signale Le Guyader, par « capitalisme », ils n’entendent pas un système de société et un mode de production particuliers, mais l’État (dans leurs cas, l’État français) qui les prive de leurs « droits » en tant que nation.
Sur un plan plus général, Le Guyader remarque que toute idéologie nationale cherche à fonder un État, et que, tout État étant un instrument de domination de classe, nous sommes amenés à constater d’une manière flagrante que tout mouvement national d’une minorité n’est que l’expression des intérêts d’une classe dirigeante en puissance. La même chose s’applique, bien entendu, aux États-Nations déjà établis et à leur idéologie de la Nation, avec pour seule différence qu’ils expriment les intérêts d’une classe dirigeante déjà fermement installés. D’où la conclusion de La Guyader, à laquelle nous souscrivons:
« Au mot d’ordre: A bas le salariat! doit faire écho son frère jumeau: A bas la nation! Car si libération nationale il doit y avoir, ce ne peut être qu’au sens où nous devons nous libérer de la forme nationale. »
Les arguments développés par Le Guyader, en dépit de leur forme parfois obscure, sont en fait extrêmement valables et méritent d’être plus largement connus. Ils arrachent, une fois pour toutes, leurs masques socialistes à l’UDB, le FLNC et le FLB (ainsi que l’ETA, l’IRA et le FLQ, etc.) et les révèlent tels qu’ils sont: des partisans (qui deviennent parfois des meurtriers) de la création de nouveaux États capitalistes et oppressifs, et donc les ennemis du socialisme (qui vise à mettre fin à l’existence de tout État), en ceci nullement différents des idéologies nationalistes qui défendent les États capitalistes déjà existants.
(Socialisme Mondial 13, printemps 1980)